Alors que la France ne négocie plus de conventions successorales depuis plusieurs années, les transmissions transfrontalières exposent de plus en plus de familles à des cas de double imposition. L’article 784 A du CGI atténue partiellement le choc, mais la fiscalité reste lourde, comme l’illustre le cas du canton de Vaud en Suisse.
La fin des conventions : un choix assumé, aux conséquences lourdes
La matière successorale est longtemps restée couverte par des conventions bilatérales, qui permettaient d’éviter que deux pays ne taxent la même succession. Mais la France a progressivement mis fin à ces traités. L’exemple le plus emblématique est celui de la convention franco-suisse, dénoncée par la France fin 2014, qui couvrait notamment les cantons frontaliers.
Résultat : aujourd’hui, lorsqu’un défunt ou un héritier présente un lien avec plusieurs pays, le risque de double taxation est élevé. En vertu de l’article 750 ter du CGI, la France impose :
• tous les biens si l’héritier est domicilié en France depuis au moins 6 ans sur les 10 dernières années,
• les biens situés en France si l’héritier n’est pas résident français.
Dans le même temps, le pays étranger peut imposer les biens situés sur son territoire. En l’absence de convention, la France applique l’article 784 A du CGI, qui n’autorise l’imputation de l’impôt étranger que sur les biens situés à l’étranger. En clair : un héritier français paie les droits en France sur son patrimoine mondial, puis impute l’impôt étranger uniquement sur les actifs étrangers. Mais si le pays étranger taxe aussi les biens français, aucun crédit n’est possible. Le risque de « trou noir fiscal » est bien réel.
Cas pratique : une succession franco-suisse dans le canton de Vaud
L’exemple du canton de Vaud est parlant. Ce canton applique en ligne directe un abattement d’1 million de francs suisses par héritier, puis un taux de 3,5 % sur l’excédent. En comparaison, la France impose en ligne directe à un barème progressif jusqu’à 45 %, après un abattement de seulement 100 000 euros par enfant.
Concrètement, un héritier français qui reçoit 2 millions de francs suisses d’un parent domicilié à Vaud devra :
• s’acquitter en Suisse de 35 000 CHF environ,
• puis déclarer la succession en France et s’acquitter de droits pouvant dépasser 600 000 euros,
• avec une imputation limitée : il ne pourra déduire que les 35 000 CHF correspondant à l’actif étranger, pas au reste.
Le différentiel est énorme : la fiscalité française absorbe l’essentiel de l’actif, même si le défunt a déjà payé à l’étranger. Ce cas illustre l’absence de coordination et le poids croissant de la fiscalité successorale transfrontalière.
Anticiper, structurer et localiser les actifs
Face à ce constat, les praticiens ne cessent d’alerter : l’anticipation est la seule parade. Cela peut passer par :
• la localisation d’actifs financiers ou immobiliers dans la juridiction de résidence des héritiers,
• la structuration via des outils comme l’assurance-vie, qui peut offrir une neutralité fiscale en cas de décès,
• ou encore des donations anticipées, réalisées avant que les héritiers ne deviennent résidents français.
Le choix de la résidence fiscale des héritiers est également décisif. Six années de présence en France suffisent pour déclencher l’imposition mondiale. Pour les familles internationales, ces règles imposent une réflexion globale : où placer ses actifs, où localiser ses héritiers, et quel calendrier suivre pour les transmissions.
En refusant de renégocier des conventions successorales, la France a fait un choix souverain assumé. Mais ce choix se traduit, pour les familles concernées, par un alourdissement massif de la charge fiscale et par des situations de double imposition difficiles à justifier. Le cas suisse n’est qu’un exemple parmi d’autres : les mêmes difficultés apparaissent avec le Canada, les États-Unis ou certains pays européens.
Sources : CGI, art. 750 ter et 784 A ; Convention franco-suisse de 1953 dénoncée en 2014 ; régime fiscal du canton de Vaud. Analyse Banque Richelieu.